[Nouvelle] L’Assemblée des Clichés

Genres littéraires : Satire sociale, Réalisme social, Dystopie, Drame psychologique, Littérature contemporaine

Trois propositions aguicheuses pour donner envie de lire « L’assemblée des clichés » :

#1 : Une confrontation explosive entre stéréotypes dans une laverie.

#2 : Sarcasmes, violence et dégoût : « L’assemblée des clichés » secoue vos certitudes.

#3 : Les masques tombent et la vérité éclate dans le chaos

Résumé :

Dans une laverie, une vieille femme, une prostituée et un toxico s’affrontent dans un jeu de pouvoirs, de clichés et de révoltes, où chaque rencontre révèle une vérité brutale.

L’assemblée des clichés

ou

La Vieille, la Pute et le Toxico

« Ah, cette grosse p… », maugréa la vieille, Jacquie-Annie, qui, sous son air affable, portait ce prénom démodé comme un fardeau.
Elle avait repéré la « Pute du 52 » de loin, alias la « khôl-girl », comme l’appelaient les voisins avec une touche de mépris dissimulée. La voilà, cette dévergondée, qui déambulait devant elle en toute impunité.
Son parfum, un cocktail de sucre et de chimie, envahissait l’air comme un nuage de poussière soulevé par une brise lourde.
Sa démarche, toute en prétention et en exagération, était un affront au bon sens, mais aussi à l’équilibre terrestre.
Ses cheveux, teints en blondeur peroxydée et maltraitée, ressemblaient à un paquet de paille écrasé par un vent capricieux.
Et que dire de sa voix ? Un charabia insupportable, un phrasé plus artificiel qu’une perruque en plastique, des intonations exagérées et criardes, comme si elle essayait d’être le personnage principal d’un mauvais téléfilm.
C’était une vision ambulante de décadence. Un portrait vivant de tout ce que la vieille Jacquie-Annie haïssait dans la ville, une ville qui semblait fondre dans un abîme de mauvais goût qu’elle observait avec effroi, entre deux publicités pour des crèmes anti-rides.
Et en plus, la voilà qui se pavane avec sa dignité toute neuve, pour aller à la laverie ! Non, mais sérieux ? Et comme si ça ne suffisait pas, elle allait là où la vieille se rendait aussi… quelle honte ! La poubelle de la société, oui, et la voilà qui se balade comme si c’était son droit de tout partager. La vieille, au fond, se sentait trahie, blessée par cette double offense : son temps de laverie volé et cette fausse liberté déambulant sous ses yeux.

Oh, Jacquie en avait croisé des demoiselles de petite vertu, mais de son époque, elles étaient tout de même plus discrètes, moins tapageuses, plus en retrait. C’était une autre époque, la mixité sociale un vague idéal, pas encore ce truc qui allait bientôt nous éclater à la figure, comme un plat trop épicé.

La vieille Jacquie-Annie n’était pas du genre à se laisser faire. Non, elle n’était pas la mamie douce et tranquille qui tricote en lisant des romans à l’eau de rose. Oh non, la carne avait bien d’autres cartes dans son jeu. La vie l’avait forgée : à force de se battre, de ruser, de tourner les situations à son avantage, elle était devenue acérée, affûtée, toujours prête à dégommer un malotru.

Bon, d’accord, elle n’avait pas une silhouette de mannequin. Elle portait son dos voûté avec fierté, un petit rappel de son adolescence mouvementée. Elle n’avait jamais eu la chance de faire partie des élites physiques et esthétiques. Ses cheveux ? Frisés comme un caniche après une douche dans un vent fort. Mais Jacquie-Annie s’en fichait royalement. Elle en avait bavé dans sa vie et avait enduré vaillamment, sans jamais faire appel à la charité ni à quiconque pour l’aider.

Survivante d’un cancer du sein droit et de sept guerres des voisins. Elle était son propre chef d’œuvre.

Il est vrai qu’elle n’était pas totalement seule dans son combat. Il y avait Moshe, son fidèle compagnon à quatre pattes… enfin, à deux pattes, et encore. Le bon Moshe, un peu simplet, mais tellement adorable. Il lui jouait des morceaux de trompette le dimanche matin, dans un style qu’on pourrait qualifier de… unique, mais sans conteste, plus raffiné que le chant de leur chat. Et, avouons-le, il avait un certain panache pour un animal dont le plus grand talent était de jouer de l’instrument à vent et de faire des regards attendrissants.

Des années de tranquillité relative. Pas trop de tracas, à part les tâches de concierge dans l’immeuble du 51 Bis. La vie roulait.

Mais comme tout dans ce monde, beaucoup finit par se détériorer. La ville se transformait, la qualité de l’air déclinait, et la santé de Moshe, ainsi que celle de Jacquie, partaient en vrille. La vieille savait qu’il était désormais nécessaire de se battre pour rester respectée dans ce zoo qu’était la cité. Les gens se faisaient de plus en plus bêtes, de plus en plus impolis. Les jeunes et leurs idées bizarres, les étrangers qui venaient chambouler le petit monde de Jacquie-Annie, ça devenait insupportable.

Ah, c’est ça, être vieille : regarder tout ce que l’on aimait se transformer sous nos yeux. Les gens, les rues, les voisins. Une lente dégradation, comme une antique pièce de théâtre qu’on a vue trop de fois, mais toujours pleine de surprises… bon, pas vraiment.

Et puis, pour couronner le tout, quand elle arriva enfin à la laverie, la prostituée, évidemment, lui claqua la porte au nez. Jacquie-Annie resta là, ahurie, quelques secondes. C’était comme si la vieille avait encore pris un coup dans la gueule. « Eh bien, bonjour l’hospitalité », maugréa-t-elle en secouant la tête.

La peroxydée, trop absorbée par sa conversation avec un habitué, le jeune Usman – un bon client, pas franchement beau mais assez dodu pour se permettre de dépenser – ne remarqua même pas la vieille derrière elle. Elle était trop occupée à penser qu’avec chaque seconde qui passait, c’était de l’argent qui filait entre ses doigts. Plus vite on courait, plus on empilait les billets.

Elle raccrocha le téléphone d’un geste sec, remit son portable dans son petit sac de luxe et se débarrassa des draps souillés qu’elle avait entassés dans un gros sac en toile, qu’elle balança sans trop de grâce sous son bras. L’odeur qui se dégageait ne la gênait absolument pas. C’était son quotidien et son lave-linge était en réparation. Ce qui la fit tiquer, cependant, c’est la vieille qui passait en douce derrière, à pas de loup, comme une souris, prête à jouer à son propre petit jeu.

La pièce, où elles n’étaient que deux, sentait comme une chambre d’adolescent fermée depuis trop longtemps, un mélange de musc et de sueur. Un parfum de lutte secrète, de péché à peine effleuré. Pas de quoi faire de chichi. D’un air distrait, la prostituée songea, un sourire un peu niais aux lèvres : « Pas de capote, plus de sous dans la cagnotte. Voilà le calcul. » C’est vrai quoi, l’argent, c’est pas rien. Avec ça, on peut se payer une paire de talons griffés, un sac en cuir italien de luxe, ou un petit bijou qui brille plus que les émeraudes de sa grand-mère. Le rêve.

Mais bon, elle devait se dépêcher. Les clients n’aimaient pas trop ces tâches incrustées. Un peu de lessive, de l’assouplissant, du détachant haut de gamme à 40 degrés, et hop, machine numéro 8 avec une capacité de 6 kg. Le liquide partira de lui-même, d’une manière ou d’une autre. C’est ça, le service premium. Elle s’assit sur une chaise en attendant que la machine commence à tourner, fixant les mouvements du tambour comme si elle observait un spectacle hypnotique.

La vieille, quant à elle, fulminait en silence, murmurant des insultes entre ses dents. « Quelle abomination, quelle horreur ! Une dégradation ! Un déchet humain ambulant ! » Jacquie-Annie ne se privait pas de juger, d’un air supérieur, comme si tout dans la pièce la révoltait. Le monde tournait autour de cette ‘sainte’ colère de vieille, qui ne pouvait s’empêcher de critiquer tout ce qu’elle voyait, surtout ce qu’elle ne comprenait pas.

Soudain avant qu’elle n’ait le temps de partir dans une nouvelle tirade, la porte s’ouvrit. Et là, son regard tomba sur un truc qu’elle n’avait pas prévu : un petit imbécile en manque, tout mal rasé et mal fagoté, un toxico transpirant de shit et en quête de sa prochaine dose. Il entra dans la pièce en traînant les pieds, l’air tout sauf frais. Et la vieille, dans un souffle : « Qu’est-ce que c’est que cette merde… »

« Bonsoir… » marmonna-t-il d’une voix traînante, jetant un œil à la laverie. La nuit tombait lentement, les néons des magasins s’éteignaient un par un, et les rues se vidaient petit à petit. Le temps d’une salutation et le silence s’instaurerait. Il regarda l’horloge. « Bientôt 21h… », songea-t-il, l’air épuisé. Marc, le toxico du coin, avait un objectif : acheter son précieux cannabis et fuir cette journée de misère. Si seulement la chance daignait se manifester, mais il n’avait presque plus un centime. C’était la galère totale.

Ses gestes étaient précipités, ses affaires jetées dans la machine à laver avec une nonchalance déconcertante. Comme si chaque instant était une occasion de plus pour penser à autre chose. À quoi d’autre, d’ailleurs ? À tout ce qu’il n’avait pas. Déjà il puait la friture et était sale, sortant du boulot. Putain de déterminisme social. Aussi il subissait le manque, ça lui causait de l’hypersudation. Puis à la galère, aux punaises de lit qu’il avait découvertes ce matin dans son studio de 9m². La peste des bas-fonds, l’enfer domestique. Il se rappelait encore la nuit passée à se démanger, à se gratter comme un chien enragé, cherchant la tranquillité mais ne trouvant que sueur et piqûres.

Un coup d’œil rapide à son smartphone, grâce à la connexion Wi-Fi gratuite du FastChicken, et il découvrit la vérité. Ces bestioles qu’il prenait pour des cafards mutants étaient en réalité des punaises de lit, Cimex lectularius, pour être précis. Une véritable catastrophe. Ce genre de truc qu’on ne veut jamais voir. Le seul moyen d’y échapper ? Un lavage à haute température, une bombonne de désinfectant, et des draps neufs. D’accord, mais où trouver la thune ? Parce que son patron, Boris, n’avait rien voulu entendre quand il avait demandé une avance sur salaire. Résultat : c’était la misère, et Marc se sentait encore plus au fond du trou.

Un dernier micro-joint sur la route pour alléger un peu la journée, mais voilà, il n’y avait plus de stock. Comme d’habitude, la journée était devenue une épreuve de plus. Sans ça, il n’aurait jamais pu faire face à cette misère, à ce manque constant d’affection, d’amour, de… tout, en fait. Son fidèle compagnon était sa fumette. Quand il n’avait plus ça, il se sentait déconnecté, perdu, sans repères. C’était son seul soutien.

Alors qu’il terminait de fourrer son bazar dans la machine, une odeur étrange lui chatouilla les narines. Ce n’était pas la fragrance d’une fleur, bien sûr. Plutôt celle d’un souvenir désagréable qui se faisait sentir. Il tourna la tête et, avec un haussement d’épaules, se dit qu’elle ne venait sûrement pas des dames du coin, mais plutôt d’un client de l’après-midi. Un client, probablement un peu trop enthousiaste dans ses agissements, mais bon. Voilà l’éternel problème, se dit-il : personne ne lui foutait la paix et tout ce qu’il avait fini par obtenir était volé. Comme cette bouteille de YoupiCola (1,5L), remplie de javel, concentrée à plus de 30 %, qu’il avait « empruntée » au fast-food, mélangée à de l’isopropanol. Il en versa un quart dans le compartiment de la machine, espérant qu’elle allait faire son travail. Il avait lu ça sur un forum en ligne – soi-disant ça nettoyait tout, même l’âme. Il espérait vraiment que ça marcherait. Il ajouta un peu de lessive volée aussi, ses derniers sous, et enclencha la machine numéro 13, celle qui avait l’air la plus robuste.

Il se laissa ensuite tomber sur une chaise, non loin de la jolie blonde qui fixait le tambour de son propre lave-linge. Marc sortit son calepin, un de ces petits carnets d’un autre temps, et se lança dans un de ses fameux textes déprimants. Quelques vers pour oublier la journée, pour échapper au quotidien qui semblait ne jamais changer. Il mit ses écouteurs et se laissa immerger dans sa propre bulle sonore, loin de tout. La vieille derrière lui, cette espèce de « sorcière de la laverie », le fixait, avec ses yeux pleins de jugement. Il lui lança un regard indifférent, se contentant de hausser les épaules. Il y avait de la place pour tout le monde ici, non ?

La frape te frape

Sa nik ta race

Kan ya pas d’espoir

Tape toi une trace

TAPE TOI UNE TRACE

TAPE TOI UNE TRACE È TRACE

Le toxico était littéralement emporté par la vague de créativité, sa main bougeant avec frénésie sur une mélodie de rap lancinante. Il griffonnait sa prose, une sorte de poésie fumeuse, l’inspiration venue tout droit de ses entrailles bien polluées. Une véritable explosion de pensées, un orgasme littéraire avec une pointe de THC. Il se sentait invincible, comme un écrivain maudit, mais sans le talent ni la verve. Non, lui, c’était plutôt un verre de Label 5 et une bouffée de nuage.

Kan lé kondé

prenn té lové

ysfon pa chié

alor nik lé

ALOR NIK LÉ

NIK LÉ CONDÉ

È tape toi une trace é trace

À peine le dernier mot écrit qu’une détonation assourdissante secoua les écouteurs, un grésillement monstrueux, puis un silence coupé net. « Bordel ! » râla Marco, « J’venais d’les carotte ! » Ah, la véritable ironie : c’était maintenant lui, le « tubercule », qui était en train de se faire avoir dans cette histoire.

Le pauvre Marco bouillonnait, le mépris montait comme un volcan en éruption. Il se sentait comme un enfant dans un magasin de jouets cassés, tout était allé de travers aujourd’hui. Et voilà que, submergé par cette furieuse explosion intérieure, il laissa tout éclater : il balança son équipement avec la rage d’un chiot battu. Celui-ci éclata en morceaux, envoyant des débris dans toutes les directions. C’était comme si l’appareil proclamait son chant du cygne dans une explosion de fragments, s’éparpillant devant les bottines ‘fashion-chic’ mais bon marché de Jacquie.

Et bien sûr, la vieille à la gueule difficile, n’avait rien raté du spectacle. Elle avait vu et entendu toute la scène, mais elle ne semblait pas effrayée, occupée à trier ses affaires tout en surveillant, à distance, ces deux clowns. Elle, elle était là, dans son coin, avec sa machine, la grosse 22 de 12 kg, qui la faisait tant briller d’orgueil, comme une véritable guerrière industrielle.

De l’autre côté, la « khôl-girl » était bien loin de cette agitation. La prostituée, la tête perdue dans les mystères de sa propre vision du monde, suivait les tours du tambour avec une fascination digne d’un enfant hypnotisé par la télé. Elle se demanda vaguement si son chat, TitiPa, faisait quelque chose de plus intelligent que ça. Peut-être qu’il jouait à la console, se gonflant d’ego comme elle, ou peut-être se forçait-il à vomir juste pour rester bien dans sa peau ?

« Innocent ! » lança Jacquie-Annie, son ton aussi acide qu’un jus de citron dans les gencives. Elle jeta un regard condescendant au toxico, un rictus dédaigneux se dessinant sur ses lèvres.
En observant l’objet éclaté à ses pieds, elle songeait, pas sans un soupçon de satisfaction, à la durabilité des stéréotypes qu’on essayait de noyer sous les vagues d’idéalisme. Après tout, ils avaient une fâcheuse tendance à être plus tenaces que prévu… Et, un peu de vérité dans tout ça.

– Allez, ferme ta bouche la vieille !
Marc, dans un élan impulsif, se leva d’un bond, son cri détonnant comme un couvercle qu’on ferait sauter. Ses poings se fermèrent avec une telle force que ses ongles lui rongèrent la peau. La confrontation commençait, son cœur battait ardemment, mais il savait que la gestion de la rage n’était pas son fort. Il n’allait tout de même pas laisser cette vieille peau lui faire passer un mauvais quart d’heure.

Un combat de regards s’installa. Une compétition tacite pour savoir qui réussirait à avoir l’air le plus menaçant. La vieille et le jeune se fixaient, scrutant chaque ride, chaque veine, chaque muscle en tension. Leurs regards croisés étaient des projectiles invisibles. Pendant ce temps, la pute, elle, semblait hypnotisée par la contemplation de ses pieds, comme si ses orteils lui révélaient l’univers.

Puis, comme un spectacle de théâtre, l’instant se suspendit. Aucun ne bougea. Le toxico, en proie à une confusion interne digne des plus grands dilemmes philosophiques, finit par se rasseoir en grognant des jurons. La vieille, quant à elle, haussait les épaules avec une exaspération sourde et appuyée. La prostituée, complètement ailleurs, observait toujours ses pieds avec une insistance qui frôlait l’absurde.

Mais voilà que le poids de l’attente devenait trop lourd pour Jacquie-Annie. Elle avait passé trop de temps à endurer cette bande d’idiots débraillés qui envahissaient sa vie. Elle n’allait pas rester là, dans l’ombre de la passivité, éternellement.
Elle jeta un regard méprisant au toxico et, en ramassant un morceau des écouteurs explosés qui gisaient à ses pieds, lança d’un ton acide :
« Tiens, garçon, un bout de ton avenir. Cassé, inutile et à mes pieds, tout comme toi. Tu comptes jeter ta dignité aussi, ou t’en reste-t-il encore un peu pour ramasser ce bordel ? »
Elle laissa tomber le morceau devant lui avec une lenteur calculée, avant de croiser les bras dans une posture de défi.

De son côté, le toxico bouillonnait. Accumulée à l’irrespect, la frustration de ne pas pouvoir s’adonner à sa consommation lui tapait sur le système. Un éclair traversa son esprit, et une idée aussi brillante que celle de voler la cagnotte d’un sans-abri germa : il allait les dépouiller.

Après tout, l’argent coulerait à flots et il aurait ce qu’il voulait. Une bonne vieille transaction, une petite bourse à se remplir, et de quoi se payer sa chérie brune.

La blonde, quant à elle, ne semblait avoir aucune pensée, aucune réaction. Elle n’était que l’incarnation de la torpeur. Ses pieds la fascinaient.

Marc, dans un élan théâtral, sortit sa bombe lacrymogène avec l’assurance d’un gangster en pleine action. Dans sa main gauche, l’objet semblait un phare au milieu de la tempête. Et dans sa main droite, son couteau papillon — qu’il avait gagné à une foire — scintillait, prêt à prouver sa loyauté en cas de besoin.
« Balancez tout votre fric, ou je vous gaz ! »
Il se planta devant la porte, prêt à l’action, ses muscles tendus comme une corde prête à céder. Les deux femmes, d’un air distrait, ne voyaient pas venir le tsunami de son attaque. Selon lui, l’affaire était dans le sac : il bloquerait la sortie et en ferait une affaire lucrative.

La vieille, comme un tigre prêt à bondir, enfonça discrètement la main dans son sac sans dire un mot. Ses yeux suivaient le spectacle qui se déroulait devant elle, son air suspicieux et un brin malicieux marquant une expérience de vie qu’elle ne pouvait oublier. Contrairement à son agresseur qui, lui, tremblait d’impatience, elle tremblait uniquement de nature, mais d’une nature qu’aucun jeune délinquant ne pouvait comprendre.

La prostituée, quant à elle, s’était redressée sur sa chaise avec une rigueur presque militaire. Stoïque. Un calme inquiétant. Parce qu’elle connaissait bien le genre de scénario, et qu’en l’occurrence, elle était prise au piège, coincée dans l’angle où les choix sont souvent limités.

Un silence lourd s’installa, les trois individus se jaugeant comme des joueurs d’échecs sur le point de lancer une partie. La vieille observait avec défi, le toxico grognait d’impatience, et la prostituée, elle, commençait à transpirer d’une légère panique.

Brandissant son couteau d’un air furieux, et avec sa bombe lacrymogène prête à exploser, Marc cria dans un dernier élan de rage, mais ses mains tremblaient tellement qu’il peinait à masquer son agitation :

« Si vous me filez pas votre pognon tout de suite, je vous coupe en tranches, hein ! »

Les tremblements de sa voix, son corps vacillant sous l’adrénaline, furent un baume pour la vieille, qui, soudainement, se sentit bien plus grande, presque sage face à cette piètre tentative d’intimidation.

La prostituée, prise au piège dans une impasse, réfléchissait en silence. Hors de question de livrer son téléphone, ses biens ou de l’argent. Puis, tout à coup, dans un élan de désespoir, elle balança, son regard fuyant :

« Tu veux mon assouplissant ? »

À peine avait-elle dit ces mots qu’elle se détesta intérieurement. Le timing n’aurait pu être plus mauvais. Le regard de la vieille, ahuri, lui fit comprendre que l’offre n’était en rien un chef-d’œuvre de répartie.

Jacquie-Annie, voyant le moment propice pour faire valoir sa supériorité, en sortit son taser de 3,5 millions de volts, le brandissant fièrement comme si c’était une épée légendaire prête à défendre l’honneur. Elle s’écria avec une fausse bravoure :

« Voilà donc la jeunesse actuelle, réduite à deux stéréotypes ambulants ! Une prostituée et un toxico ! Des paresseux, avides d’argent facile, sans le moindre respect pour les valeurs ! »

La peroxydée, piquée au vif, se redressa avec l’indignation d’un général en guerre et répliqua, l’air choqué et presque blessée :

« Hey, t’es sérieuse, vieille peau ?! Je ne suis pas une pute ! Je suis une professionnelle ! Une experte, tu vois ? J’ai un D.A.E.U. B et une licence en psychologie. J’ai même suivi un stage intensif de séduction à Rome, avec certification à la clé, en plus d’un diplôme d’optimisation orale obtenu à Budapest ! Je ne fais pas ça juste pour le fun, je suis dans la catégorie haute couture des services ! »

Le toxico, complètement perturbé par la révélation de la blonde, se retrouva en état de choc. Jamais il n’avait imaginé que cette créature aussi sexy puisse être une professionnelle du plaisir. Il prit un instant pour reprendre ses esprits avant de se redresser et de repartir à la charge, brandissant son couteau comme un enfant avec un jouet neuf :

« Vous me faites chier, vous deux ! Allez vous faire foutre ! Et toi là, la blonde, tu vas m’entendre ! » (il pointait son arme en direction de la pute avec l’enthousiasme d’un vendeur de matos qui ne ferait que sauter l’option « S.A.V. ») « Et ton jouet là, vieux tas de ferraille, je vais t’envoyer ça dans la tronche, je m’en fous du taser, espèce de vieille peau ! Allez, faites-moi péter vos billets, les bourgeoises ! »

L’atmosphère était tendue, plus statique qu’un toboggan en métal, et la tension atteignait des sommets qu’aucun d’entre eux n’avait anticipés. Il fallait bien que ça pète, dans un éclat d’idiotie générale.

Jacquie-Annie, bien décidée à ne pas se laisser faire, fit un pas en avant. Avec une fermeté et une détermination digne des grands films d’action, elle actionna son Super Shocker 3000, crépitant et scintillant. Elle se planta devant le toxico, son visage transformé par la haine, les yeux aussi sombres que deux trous noirs prêts à aspirer la lumière.

Marc, pensant qu’il allait les impressionner avec son spray de gaz, appuya lourdement sur la gâchette. Mais il n’avait pas prévu un détail crucial : au moment où l’aérosol jaillit, il entra en contact avec l’étincelle du taser de Jacquie-Annie.

Une explosion enflammée déchira l’air, éclatante comme un final de spectacle pyrotechnique. La vieille flamba comme un sapin de Noël mal monté. Ses cheveux, qui ressemblaient déjà à des éponges à récurer, partirent en fumée.

Elle hurlait, une chorégraphie de douleur et de surprise, ses yeux qui ne savaient plus où regarder, ballottés dans tous les sens comme un poisson hors de l’eau. Marc et la blonde, stupéfaits, se retrouvèrent comme deux cancres devant une catastrophe dont ils n’avaient aucune idée.

Sous l’effet du désespoir et des flammes, Jacquie-Annie, mi-souriante, mi-grimaçante, tenta de rassembler ses dernières forces pour ouvrir la porte de la machine numéro 13, celle de Marc. Elle réussit, renversant l’eau et un peu de son propre malheur à ses pieds. Puis, dans un élan d’accélération désastreuse, elle glissa sur une chaussette trouée qui traînait là. Elle se cogna violemment la tête contre le lave-linge, perdit l’équilibre, bascula brusquement et s’écrasa au sol, le crâne heurtant violemment le revêtement. Quelques soubresauts, un râle d’agonie, et elle se tut. Elle gisait là, une partie de son visage toujours en feu, l’autre en cours de cuisson.

Marc et la blonde, dans l’ombre de l’action, se regardèrent, interloqués, alors que les machines continuaient à tourner, comme des consciences tranquilles.

Le consommateur de haschich était pétrifié, les yeux écarquillés, absorbé par l’horreur du spectacle qui se déroulait devant lui. La forte odeur de chair en combustion s’ajoutait à l’agression de l’aérosol qu’il avait inhalé, ce dernier lui brûlant les sinus et la gorge. À l’instant où il pensait encore pouvoir sauver la vieille, il sentit une violente piqûre dans le côté de son cou. Un objet dur et froid s’y était logé, qu’il arracha, confus. C’était une lime à ongles, fine et tranchante, couverte de rouge. Il ne comprenait toujours pas. Avant même de pouvoir réaliser ce qui venait de se produire, il aperçut sa gorge se vider de son sang en un jet ininterrompu. Le liquide chaud et sombre filait dans un torrent incontrôlé. La fièvre l’envahit. Il chancela, se précipitant dans un tourbillon de douleur, sans comprendre la réalité de ce qui lui arrivait. Il tenta de se rapprocher de la prostituée, mais glissa sur une flaque de sang qui ne cessait de couler. Il s’effondra, son corps faible, suffoquant. Avant de perdre connaissance, son esprit, flou, se résigna à cette dernière pensée : « La putain. » Et le noir l’envahit, entouré par la chaleur de son propre fluide sanguin.

De son côté, la prostituée ressentait une nausée profonde. L’air était saturé de l’odeur de la chair brûlée, du sang, et de cette brûlure chimique du gaz lacrymogène qui attaquait ses voies respiratoires. Elle toussait, les yeux piquants. Pourtant, un sentiment étrange de victoire montait en elle. Elle n’aurait pas à répondre de ses actes, car la caméra du coin filmerait certainement la scène. Elle serait sûrement en couverture de journaux et passerait sur internet, à la télé, un visage de victime devenue héroïne. Mais la douleur dans ses yeux et sa gorge en feu rendait cette pensée bien fugace. Ses yeux la trahissaient, lui conférant une vision floue tandis que son mal de gorge devenait insupportable. Elle ne put que trouver un peu de soulagement lorsqu’elle attrapa la bouteille de YoupiCola posée sur la table. Elle la porta à ses lèvres, mais en buvant goulûment, elle se rendit vite compte que ce n’était pas de l’eau. Le goût était… étrange, brûlant.

Elle se leva, titubant sous le choc, mais un violent spasme l’envahit presque immédiatement. Elle glissa dans la rue déserte, son corps se raidissant, pris de douleurs abdominales qui la pliaient en deux. La crampe qui la saisissait au ventre la paralysa. Avant de s’effondrer, elle pensa une dernière fois à TitiPa qui l’attendait, son chat bien-aimé qui ne l’abandonnerait jamais. Les clichés humains veulent prospérer, mais l’animal, lui, sait rester, sans jamais trahir ni déserter.

Images générées par I.A

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