[Nouvelle] Relation singulière et véridique des extravagances nocturnes observées place du Capitole, en la ville de Toulouse, la nuit du premier jour de l’an de grâce deux mille vingt-cing

De Toulouse, ce 2e jour de janvier.

Or, ce fut un spectacle effarant et ignoble qui saisit d’horreur les rares bourgeois et passants nocturnes errant autour de la place du Capitole en cette nuit glaciale de janvier. On conte, avec autant de frissons que de dégoût, les étranges agissements des dignitaires de la ville, ces figures tant admirées lors des parades officielles, mais qui, en ce soir fatidique, laissèrent choir le masque de leur solennelle vertu pour se vautrer dans un déluge d’infamie.

L’heure avoit passé la mi-nuit, quand les lanternes vacillantes du centre-ville projetèrent sur les pavés des ombres mouvantes et grotesques. Un jeune tambour, de retour d’un festin aviné, jure avoir vu le premier magistrat de la ville, robe relevée jusqu’aux reins, rampant sur les dalles humides tel un phoque perdu hors de son élément. Ce personnage illustre battait des mains avec frénésie, ouvrant la bouche en grands cercles grotesques, tandis qu’il glapissait comme une otarie en quête d’un morceau de hareng.

Bientôt, d’autres figures s’ajoutèrent à cette mascarade infâme : conseillers, prévôts et secrétaires, tous se dépouillèrent de leurs habits de laine pour imiter, nus comme des vers, ces animaux marins dans une débauche insensée. L’un, à genoux devant une borne de trottoir, la léchoit avec tant d’ardeur qu’on crût voir un mendiant suçant la dernière goutte de vin d’un tonneau vidé.

Un témoin anonyme, un vieillard qu’on sait héréditairement crédible dans ses dires, laissa cette parole écrite : “Si le ciel eût déversé une pluie de membres virils à l’instant, ces gueux dégénérés en eussent fait leur festin divin.”

Mais la scène ne s’arrêta point là. Voyez, disoit-on, comment les plus hardis s’élancèrent sur les potelets de fer bordant la place. Cul nu, hurlant tels des monstres déséquilibrés, ils s’empalèrent sur ces piques froides, criant d’une voix rauque : « La pièce ! La pièce ! » comme s’ils espéraient des récompenses dignes des saltimbanques de foires.

Les badauds, dissimulés derrière les colonnes, n’osaient interrompre ce bal infernal. Certains murmurèrent que ces hommes-là, jadis voués à gouverner avec vertu, révélaient sous la lune leur véritable nature d’affamés d’honneurs et de plaisirs illicites.

Un poète populaire improvisa cette strophe :

« Les grands ivres lèchent la pierre, Sous la lune, perdent leur lumière. Le pavé sert de trône aux fous,
Et la nuit s’enferme sur nous. »

A l’aube, quand la cloche de l’église Saint-Sernin tinta pour le premier office du jour, les protagonistes s’éclipsèrent dans les ruelles sombres, ramassant tant bien que mal leurs vêtements souillés. Mais la rumeur avait déjà franchi les portes de la ville, et les dames, parées de dentelles, en chuchotaient à mi-voix entre les étals de la place du Salin.

Ainsi se termine ce récit de honte publique, à moins que les langues, insatiables comme ces hommes, n’en prolongent encore les échos jusqu’à la Cour.

Sous l’œil de la providence divine, en cette ville occitane.

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