Genres littéraires : Psychologique, Tragédie, Réalisme, Poétique, Existentialisme
Trois propositions aguicheuses pour donner envie de lire « Bourgeon » :
#1 : Une femme dévastée par son reflet, entre quête de soi et terribles révélations, plonge dans un abîme où beauté et horreur se confondent.
#2 : Entre miroir et illusion, une lutte intérieure acharnée pour dénouer les secrets d’une beauté qui échappe à l’œil humain.
#3 : Un voyage au cœur de l’âme humaine, où le désir de vérité se heurte à un miroir impitoyable, déformant tout ce qu’il reflète.
Résumé :
Une femme cherche à percer le mystère de sa beauté, entre l’illusion du miroir et la vérité qui la dévore.
Bourgeon
Depuis de nombreuses années, elle savait qu’on lui mentait sur ce qu’était objectivement sa beauté.
À travers le miroir, aucun espoir de réellement se voir, alors qui croire ?
Cette interrogation depuis longtemps l’obsédait. Ce qu’elle observait quand elle se fixait dans la glace, c’était une entité malsaine, ridée, abominable, qu’elle ne pouvait regarder trop longtemps, terrifiée, les yeux remplis d’effroi.
C’était quelqu’un, quelque chose d’autre. Bien sûr, sa famille, ses amis, ses amants, ses amours lui disaient qu’elle était belle, resplendissante, sublime, sauf qu’elle était persuadée depuis petite qu’on la trompait.
À moins qu’un voile, étrange ou mystique, l’empêchait de réaliser ce à quoi véritablement elle ressemblait, elle devait remédier à cette obsession qui la hantait : se voir comme les autres la voyaient.
Si effectivement « la femme » qu’elle discernait représentait bien la réalité ? Qui était cette autre personne que ses proches lui décrivaient ?
Que ce soit sur des clichés ou en vidéo, jamais l’entité n’apparaissait, ce n’était certainement pas ce qu’elle apercevait de l’autre côté du miroir ou sur les vitres du métro, de bus, d’une vitrine d’un restaurant, d’un magasin dans la rue ou dans des galeries commerciales. Toutes surfaces qui pouvaient réfléchir cette triste et torturante réalité alternative.
Là, sur la fenêtre vitrée, l’ignoble face la regardait, ce même visage repoussant que jamais autrement elle ne rencontrait.
Durant la fin de son adolescence, elle avait tout bonnement arrêté de se contempler, profitant du fait qu’elle était désirable et désirée, sa réelle beauté n’accaparait plus toutes ses pensées. Elle évitait tout reflet, se contentant de photographies en papier ou numérisés. C’est quand elle devint vraiment femme que cette éternelle question revint la ronger. Elle avait pris de l’âge, son faciès évoluait, son corps également, elle avait toujours autant de succès mais elle voulait découvrir la vérité.
L’élément déclencheur avait été cette nuit où chez un de ses hommes d’un soir, ils l’avaient fait devant une glace. Prise avec fougue et adoration par son beau mâle, s’oubliant complètement, elle avait joué le jeu, par excitation et passion, mais aussi par curiosité. Après tout, cela faisait un long moment qu’elle ne s’était pas vraiment attentivement observée.
Sur son corps et lui en elle, elle s’était retrouvé devant l’écho de leur fusion, forcée de se voir car avant cette position, par méfiance et par peur elle feintait, se contentant de regarder sporadiquement et rapidement. Sous les frissons du plaisir, l’apparition fantasmagorique semblait avoir disparu, les soubresauts n’aidaient pas à bénéficier d’une vision nette. Elle aperçut d’abord son corps, qu’elle travaillait sans relâche, son ventre lisse, ses seins toujours fermes. Arrivée à la tête, vingt-trois années de terreur presque oubliés revinrent à la charge ; l’effroyable visage la fixait de ses yeux mauvais et luisants, gémissant comme elle, avec horreur.
De cette nuit-là, l’homme ne comprit jamais pourquoi elle partit précipitamment sans rien dire, visiblement effrayée et apeurée.
De retour à son appartement, l’expérience de l’amour et du miroir lui avait forcé la main, elle voulait maintenant enfin comprendre, dominer cette chose, cette abomination, en finir avec ce démon et cette damnation.
Depuis le temps qu’elle n’avait pas examiné attentivement son reflet, se contentant de petites glaces et de regards furtifs pour son maquillage, sa coiffure et ses soins, elle appréhendait grandement ce moment. Dans la salle de bain dont elle faisait tout pour écourter les passages, l’immense miroir collé au-dessus du lavabo, encastré au mur et qui était inclus dans son contrat de location, l’attendait. Elle posa ses mains près de l’évier et angoissée, commença à s’observer.
Les yeux dans les yeux, la hideuse apparition ne mit pas longtemps à se manifester, menaçante, désarçonnant du regard. Il fallait tenir, aller plus loin, voir ce qu’il se passerait ensuite, examiner, être attentive.
Tout était bien à sa place, mais l’étrange aura de noirceur délétère entourant et occupant cette tête étrangère enlaidissait tout ; son front bien trop ridé, ses yeux maintenant tordus et sinistres, démoniaques, son nez fin devenu boursouflé, ses lèvres charnues, sèches et fendus, son cou élancé, flétri et pendant, sa peau au teint légèrement rosé, grisâtre, craquelée et tombante. Plus elle essayait d’analyser pétrifiée, plus son visage ressemblait à une atrocité éthérée.
D’un spasme libérateur de ce déconcertant envoûtement fiévreux, elle brisa de son poing droit le centre de la glace et s’enfuit à toute hâte, en pleurs.
Qui était-elle ? Qu’était cette chose ? À qui, elle, pouvait s’apparenter ? Les dires des amis, des amoureux, les photographies qui la représentaient, ou cette chose qu’elle voyait ?
Plongée dans un cauchemar d’incertitudes, elle n’apercevait pas d’échappatoire, jamais elle ne pourrait, de ses propres yeux se regarder.
Quand lui vint soudainement une idée.
D’un pas affirmé elle retourna dans la salle d’eau. Le grand miroir fêlé lui renvoyait une image d’elle fragmentée, « ce que je suis réellement » se dit-elle, mais une bonne fois pour toute, elle serait fixée sur ce à quoi elle ressemblait.
Elle donna un second coup, sec, de la tranche de la main droite sur une des parties brisées. Quelques débris et un bout de verre, assez conséquent et de forme triangulaire, tombèrent net sur l’évier.
S’en saisissant, elle regarda le reflet de son visage, fissuré et fractionné. Elle espérait que plus jamais elle ne reverrait cette immonde figure disproportionnée, qui semblait lui vouloir le plus grand mal, et la posséder.
Dans un grand rire machiavélique elle planta avec force et précision son fragment de verre au-dessus de son orbite droit. La douleur, extrême et lancinante, ne faiblit pas l’excitation de sa proche libération, gonflant l’adrénaline qui était pour elle source de rédemption.
Pénétrant la peau, perforant les tissus musculaires, elle passa par le canal optique, atteint et sectionna le nerf de l’œil sanguinolent, qu’elle retira en hurlant et riant. Prise de folie, en proie à d’énormes souffrances et à l’hystérie, saignant abondamment de sa cavité droite à présent vidée de son globe oculaire, elle apercevait toujours du gauche et tremblotante, cette autre personne à travers la glace, qui se gaussait d’elle, horrible, néfaste, ruisselante d’hémoglobines, infâme et narquoise.
Dans un ultime effort, elle s’attaqua au second œil, enfonçant, transperçant, déchirant et coupant. Plus jamais cette présence nuisible, hostile et nocive, de sa malfaisance et de sa laideur l’importunerait, tout cela serait bientôt du passé oublié.
Lorsqu’elle eut enfin fini, vacillante, tremblante et souffrante, sur le point de perdre connaissance, le sang chaud coulant en quantité de ses orbites vidées sur son visage et son corps, elle saisit à tâtons ses deux globes oculaires tombés sur l’évier. Un dans chaque main, elle tendit les bras. Ainsi, enfin, après toute ces années, finalement, concrètement elle se voyait :
Elle était vraiment belle. Elle était magnifique.






